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INTRODUCTION

Chaque être humain se distingue de ses « semblables » par un ensemble de caractéristiques morphologiques et biologiques qui rendent son identification possible. La recherche de tels éléments spécifiques et propres à un individu donné a, de longue date, stimulé la progression de la criminalistique.

Cette science a d'abord employé des méthodes descriptives conduisant à l'établissement d'un signalement, puis des techniques de mesures plus objectives : l'anthropométrie développée par Alphonse Bertillon à partir de 1880 utilisait une vingtaine de mensurations fournissant une description unique et infalsifiable d'une personne. Le « bertillonnage » sera détrôné dans les premières années du XXe siècle par l'empreinte digitale, moins onéreuse et plus facile à manier.

En 1910, Edmond Locard crée à Lyon le premier laboratoire de police scientifique et y met en application le principe selon lequel « tout individu, à l'occasion de ses actions criminelles en un lieu donné, dépose et emporte à son insu des traces et des indices : sueur, sang, poussière, fibres, sperme, salive, poils, squames, terre, etc.. Qu'ils soient de nature physique, chimique ou biologique, ces indices, une fois passés au crible d'examens de plus en plus sophistiqués, parlent et livrent le récit du crime avant de permettre au lecteur-enquêteur de déchiffrer la signature de l'auteur-coupable »1.

Le domaine des traces biologiques indiciaires a donné lieu à des recherches intensives au cours de ces dernières décennies afin de trouver, dans les traces de sang ou de sperme, dans les cheveux ou dans d'autres échantillons biologiques, des caractéristiques individuelles spécifiques qui renferment un potentiel de différenciation assez grand, tout en étant suffisamment stables par rapport aux influences environnementales auxquelles ces traces, de par leur nature, peuvent être exposées.

Jusqu'au milieu des années 80, la criminalistique avait essentiellement recours à l'analyse de substances faisant partie des groupes sanguins et des polymorphismes enzymatiques et protéiques. Les performances étaient médiocres du fait, notamment, de la nature des échantillons biologiques à analyser et ne permettaient pas d'identifier une personne avec certitude.

Une étape décisive a été franchie en 1985 grâce à l'introduction d'une technique d'analyse de l'ADN, développée par Alec JEFFREYS et ses collaborateurs : elle permet d'établir, à partir du patrimoine génétique, une combinaison alphanumérique individuelle spécifique. Comme la substance ADN, porteuse de ce patrimoine, est présente dans chaque noyau cellulaire d'un individu, il est possible d'établir un profil génétique à partir de toute sécrétion ou tissu du corps humain.

Perfectionné au fil des années, ce moyen d'investigation et de preuve est devenu incontournable, non seulement pour les recherches civiles en paternité mais aussi, et surtout, pour les enquêtes criminelles.

Ainsi, l'utilisation de l'empreinte génétique s'est-elle trouvé placée à diverses reprises sous les feux de l'actualité dans un passé récent, qu'elle vise à vérifier une filiation (affaire Montand), à identifier un suspect (affaire Carolyn Dickinson), à étayer une accusation (affaire Guy Georges) ou à disculper un condamné (affaire Marchal).

Aux Etats-Unis, « l'appel ADN » a déjà permis d'innocenter un certain nombre de condamnés (dont plusieurs à la peine capitale) soit qu'ils n'aient pas bénéficié de cette expertise au moment de leur procès, soit que l'analyse, effectuée selon des méthodes qui n'étaient pas encore éprouvées, ait concouru à les désigner à tort comme coupables2.

La puissance de ce mode d'investigation qui plonge au plus profond de l'être humain justifie-t-elle qu'on le sacralise après l'avoir fortement contesté à ses débuts, destinée qui fut, en leur temps, celle des empreintes digitales ?

Le thème d'étude proposé par le Bureau de l'Assemblée Nationale, et dont l'Office nous a confié la responsabilité, nous invite à nous interroger, non pas sur la valeur de l'empreinte génétique en elle-même -ce point ne faisant pas débat- mais sur celle de son utilisation dans le cadre judiciaire. La question mérite en effet que l'on s'y arrête car, sans mettre en cause dans son principe, le recours à ce mode de preuve, il est opportun d'examiner si les précautions, exigences techniques et encadrements divers qui conditionnent sa fiabilité sont effectivement prescrits et respectés.

La valeur scientifique de cette expertise, au sens large que nous lui donnons ici, revêt aujourd'hui une importance particulière parce qu'elle conditionne aussi la fiabilité du fichier automatisé d'empreintes génétiques que le législateur a institué en 1998 pour les crimes et délits à caractère sexuel et dont il élargira vraisemblablement le champ d'application à d'autres types de graves infractions dans les mois à venir.

Après avoir décrit les fondements scientifiques sur lesquels repose la détermination du profil génétique, l'encadrement juridique des techniques et les pratiques étrangères qui fournissent, pour certaines d'entre elles, d'utiles enseignements, nous nous sommes efforcés, en suivant le cheminement qui conduit des prélèvements biologiques à l'enregistrement des données et aux possibilités d'échanges transfrontières, de recenser les problèmes techniques et matériels, les solutions à adopter ou en cours d'étude et les maillons de la chaîne sur lesquels une attention particulière devait être portée.

Cela étant, il convient, avant d'aborder les développements entrant dans le cadre de cette étude, de rappeler une donnée fondamentale sur laquelle s'accordent juges et experts et dont l'opinion publique n'est pas toujours suffisamment consciente, impressionnée qu'elle est, en cette matière comme dans d'autres, par les progrès de la science : si cette technique d'analyse biologique représente pour la justice une avancée considérable, sa fonction est de compléter et non de remplacer une enquête judiciaire.

L'analyse d'ADN est aujourd'hui un élément important de l'enquête parce que celle-ci se fonde de plus en plus, non sur des déclarations et témoignages, mais sur des éléments matériels permettant de conférer à la décision de mise hors de cause ou de culpabilité un caractère aussi objectif que possible. Ainsi l'empreinte génétique est-elle un outil d'investigation remarquable pour identifier les personnes présentes sur le lieu d'une infraction.

Cet élément important n'en est pas moins relatif : l'expertise génétique, contrairement à ce que certains pourraient croire trop rapidement, ne fournit pas la preuve d'une culpabilité mais d'un fait matériel dont l'importance peut être, selon les cas, considérable ou insignifiante. C'est au juge qu'il appartient de dire si ce fait matériel est, compte tenu des autres éléments rassemblés dans le dossier, un facteur déterminant et de former sa conviction en conséquence.

Les tests génétiques ne sauraient donc être considérés comme l'arme absolue de la criminalistique. Ces outils sophistiqués, dont l'extrême sensibilité impose de strictes précautions d'usage, doivent être associés aux méthodes traditionnelles d'enquête pour la constitution du faisceau de preuves qui permettra d'établir la vérité.